Finalement, le succès… qu’est-ce que c’est ? Je n’en ai pas la moindre idée. Pour mon métier, peut-être peut-on s’imaginer que le succès consiste créer des mathématiques au gré d’articles, d’inventer des théorèmes. Pourtant, si j’ai pu rouler ma bosse en ces contrées même, j’ai trop souvent cru en congrès ou conférence me muer en Saint-Bernard de faïence, l’œil hagard, peinant à me maintenir éveillé.
Vous me direz : quel rapport cela peut-il avoir avec le Nintendo Direct de jeudi dernier ? Je l’avoue sans peine, depuis plusieurs mois déjà, je suis troublé. Possesseur d’une Nintendo Switch depuis des lustres (sans m’abaisser à utiliser les joycons, il faut raison garder) je m’interroge tous les jours un peu plus sur la place qu’elle tend à occuper. Quelle trace laissera-t-elle dans l’Histoire de son médium, dans le passé de notre commun turfu ?

Vous souvenez-vous de la Wii ? Après les échecs successifs 64 et Gamecube, le constructeur Nintendo s’échinait à perpétuer son nindo : au-delà de ses capacités techniques déficientes, la Wii s’érigeait plus que tout comme une récréation innovante, jouait le jeu familial du motion gaming. Au fil du hasard et de publicités embarrassantes, la plateforme et son Wii-Fit devinrent assez vite un véritable phénomène de société, ce dont on parle à la télé (vous vous rappelez de ce que c’est ?).


Au-delà de ses résultats commerciaux, que reste-t-il aujourd’hui de la Wii, quelle est son empreinte pour le jeu vidéo ? Bien sûr, il y eut de bons jeux, d’excellents Mario, mais malgré quelques saillies exemplaires l’inconscient collectif semble toujours tancer la console, la toiser de haut. En dépit de ses qualités, la Wii entraîne depuis son fiacre bien des casseroles, dispose de chefs-d’œuvre mémorables autant qu’elle les dissimule sous des monceaux de jeux discutables.
Pour exemple, possédant la console jadis et animé d’une volonté farouche de maracas, j’exultais à l’annonce d’une suite sur Wii à Samba de Amigo. Je ne fis ensuite que mordre mon chapeau : à défaut de perpétuer mon essence festive et retrouver son ascendance caliente issue de la Dreamcast, je me vis ronchonner, seul devant une suite on ne peut plus fadasse. Au fil de son succès et de l’appétit insatiable des éditeurs, la Wii laisse ainsi dans son sillage plus de cailloux que de chaussures, au point de s’attirer nombre de détracteurs.

Revenant à mes moutons, je contemplais ce jeudi la Switch rutilante trônant sur ma cheminée, elle aussi en attente de ce Direct, en quête d’émotions. Sa technique digne de la Xbox 360, son eShop comme son netcode datant des années soixante… J’ai beau avoir profité de son catalogue des heures durant, je ne pouvais profiter pleinement de l’instant. Les jours s’égrènent et de plus en plus, le déni m’assaille. Le passage obligé des éditeurs par la console parait forcé et le bât blesse, qu’il s’agisse des sorties exclusives ou de simples portages, par exemple Hadès. Sans grande hardiesse, Nintendo et son Direct ne firent ainsi que renforcer l’idée : si l’annonce de nouveaux jeux est toujours un plaisir, comment ne pas frémir devant tant de fragilités techniques ? L’artifice classique consisterait à compenser ces lacunes par un soucis du détail, des directions artistiques éloignées du sérail… L’antithèse même des égards que Nintendo a consenti pour son Direct à offrir à nos regards.

Toujours full RP, Nintendo nous propose dans la foulée un émulateur 64, des jeux déjà vendus précédemment à l’unité, en version PAL, deux parmi les pires manettes qu’il m’ait été donné d’essayer à un prix défiant toute connivence. En somme des escroqueries en full frontal… Mais laissons cet égarement plutôt banal de côté. Bayonetta saura ravir ses fans, tout comme Kirby ou Triangle Strategy qui semble disposer d’un certain charme, si tant est qu’il renonce à ses effets de lumière parfois trop tapageurs (ne vous évoque-t-il pas, vous aussi, le Bohemian Rhapsody de David Fincher ?). Cela étant dit, n’est-il pas inquiétant de contempler des titres semblant déjà datés avant même leurs dates de sorties annoncées ?
Si depuis des années la Switch s’écoule par milliers sur les étals, le temps ne fait rien à l’affaire et son succès commercial lui fait embrasser chaque jour un peu plus le destin de sa grande sœur, entre poids mort inévitable et poubelle de table pour les éditeurs. Les chiffres, toujours les chiffres… L’actualité. Les chiffres sont au présent un ancrage certain, mais être humain, n’est-ce pas se projeter ? Ah… Nintendo. Le voici peut-être, le fin mot du succès : une entrave au progrès, le creuset des égos.