J’ai récemment décidé de renoncer de manière unilatérale à tous mes rêves de réussite en streamant des jeux sur Twitch, sur https://www.twitch.tv/kadmony, la « petite chaîne qui monte », comme littéralement personne ne l’appelle. Fort de ce choix de vie et animé d’une volonté capillaire, je prenais le parti de me construire un semblant de culture vidéoludique, arpentant les sentiers battus par tous des séries que je n’ai pas encore pu piétiner.
Il était temps de lancer un nouveau concept qui allait faire vriller les internets. Incapable de rester concentré pendant plus de 5 heures sur un même jeu, j’optais pour une culture horizontale, clinquante et superficielle. J’étais toutefois bien vite rattrapé par Yves, mon subconscient (nous reviendrons dans un autre post sur les circonstances qui m’ont amené à le baptiser ainsi, suivant le nom de la fille de Steven Tyler) : appeler « Critique » un avis sur un jeu alors même qu’on ne l’a pas totalement parcouru est, vous en conviendrez, une forme d’imposture. Eh bien soit, arborons notre incompétence et partons donc pour une Critiq, sa version amputée permettant d’apaiser autant faire que se peut ma psyché.
L’arrivée en nos contrées de The Great Ace Attorney Chronicles, une série de remakes de jeux Ace Attorney du passé, arrivait à point nommé pour m’offrir la possibilité de m’extirper des rudes contrées de la Béotie. Négligeant la taille honteuse de mon backlog, je me laissais happer par son appel en provenance de Steam, toujours en tête l’idée de l’analyser avec transparence (j’enfilais à l’occasion un sarouel de camouflage). « Nouveau venu » pour cette série, je n’ai alors au préalable pour seul rapport avec elle que les retours de ma sœur, me signifiant à l’époque de la Nintendo DS avec ferveur, « C’est vraiment bien comme jeu, tu peux gueuler « Objection!! » dans le micro de la console. ». Comment ne pas être conquis ?

Les Ace Attorney sont des jeux d’enquêtes, où nous incarnons un rôle essentiel, un des plus beaux métiers qui soit : celui d’avocat (je plaisante, restez svp, ne partez pas). Je n’ai connu que trop peu d’expériences de ce genre par le passé, le principal que j’ai suivi étant Aviary Attorney chez Oxydoreduction (https://www.twitch.tv/oxydoreduction). J’avais alors trouvé le jeu particulièrement stylax (adjectif adorablement naze). Orné d’estampes soignées, d’un humour ravageur, Aviary Attorney a su me cueillir grâce à son ambiance décalée, au point que je milite depuis l’époque pour qu’il soit adapté en français et renommé dans la foulée 36 quai des orfraies (aphorisme sous copyright).

The Great Ace Attorney Chronicles démarre tambour battant en déployant son histoire historique : jeune pousse d’une école d’avocats dans un pays qui n’a visiblement aucun système judiciaire, le Japon, vous arpentez les couloirs du tribunal accompagné de votre Nakama (ca veut dire « copain » dans Naruto). Notre Nakama c’est un peu le miroir non-réfléchissant, la version sublimée qu’on a de l’autre, le BG de l’école dont les vêtements s’arrachent à l’approche des filles, avant même qu’elle ne se l’arrachent… Et ça tombe bien : le voici qui va nous défendre dans un procès, où nous sommes accusés à tort d’avoir tué un Professeur Anglais de passage dans le ter-ter, entre tradition et modernité.

Pourquoi donc au cœur d’un restaurant, ce professeur s’est-il pris une balle dans le buffet ? Pourquoi diable était-on alors attablé sur le côté, prêt à ramasser un pistolet ? Le début de l’intrigue ajoute au mille-feuille de cette situation inextricable un glaçage au pathos typiquement japonais, alors que l’École nous signifie que nous nous défendrons seuls, pour ne pas entacher la réputation de notre Nakama. Celui-ci est en effet censé partir en Angleterre pour découvrir son système judiciaire et ainsi poser la première pierre aux premiers procès du Japon (entre tradition et modernité mais dans le passé, suivez svp). S’ensuit un twist très nippon ou nous sommes censés être heureux de voir tout le monde nous mettre au pilon. C’est vrai ça, nous aurions bien tort de perturber son ascension, qui oserait mettre un grain de sable dans la construction du Japon ?

Peu après, nous voici enfin dans le fin mot du gameplay : il s’agira d’auditionner les témoins, de regrouper les indices, de scruter les culs des bouteilles pour exhiber leurs contradictions, déjouer leurs exactions. L’enchaînement des répliques est toujours bien senti et rythmé, l’avancée de l’enquête est parfaitement contrôlée. Tel le cyclotouriste parcourant le Vercors, on se laisse aisément porter par le flot ininterrompu des discours et des objections, même s’il m’est arrivé ça ou là de voir « trop tôt » des indices, de shunter quelques interrogations.
Un exemple typique de ces petites anicroches rencontrées en stream est ce que nous appelons sobrement le « boulotède-steak-gate », séquence où dès la réception d’une photo, l’œil vif et acerbe, j’ai scruté les striures de l’entrecôte saignante de la victime et ai remarqué qu’il n’avait pas été boulotté comme indiqué sur une autre preuve. Formation d’aruspice glanée au pôle emploi ou prédisposition ? Qu’importe ce qui m’a orienté vers cette observation, la preuve ayant été plutôt réservée à la fin de l’enquête, je fis l’erreur de désigner sans cesse trop tôt ce steak.
Les moments de « révélation » du jeu sont très exagérés et toujours un plaisir. Emporté, je pointais du doigt mon écran énergiquement, fulminais d’ « OBJECTION! ». Pleine de rebondissements, l’aventure nous plonge au cœur d’un panier de crabes mais nous confronte à de bien plus terribles crustacés, perfides, à la peau rosée… En un mot : les Anglais. Comment rêver d’un meilleur décor ? Je serrais le poing, cherchais le regard de mon Nakama et parvenais à m’extirper de la situation confondant les témoins, contrecarrant toutes leurs injonctions. Nez à nez avec la funeste Jezaille Brett, je restais aux aguets, toujours sur la brèche, prêt à plaquer le cygne de son chapeau à tout moment, tel un bleu à Wembley.

Nous n’abordons ici que le premier chapitre, mais la route est longue et le jeu en comporte quatre ! Ayant suivi les sentiers du début du second, je peux affirmer que l’enquête prend une toute autre tournure, plus active, moins dialectique. L’arrivée imminente d’un Sherlock Holmes insupportable montre toute la finesse de l’écriture des auteurs. N’en doutons pas une seconde, Japon avide aux prémices de l’aventure de la culture albione saura ouvrir ses yeux de boomer et parviendra à sortir vainqueur.

Le verbiage bégueule de Poetic_Blogueur

- Une formule très bien rodée, des personnages truculents, une intrigue pleine de rebondissements.
- Les phases s’enchaînent avec plaisir et parviennent à entretenir un équilibre subtil, une fantaisie plausible.
- Les graphismes sont chatoyants, leur patine comme le naming de bien meilleur goût que pour la trilogie originale.
- Quatre chapitres de bien belle longueur.
La glose revêche d’ « À balles réelles »

- Des flashs lumineux blancs très forts et réguliers qui peuvent déclencher des crises aux joueurs sensibles, pensez à les désactiver (je le confesse, après une heure de jeu j’ai été renarder).
- Des flashs lumineux blancs qui reprennent au Chapitre 2, alors même que j’ai pris soin de les désactiver (c’est là que j’ai arrêté).
- Quelques anicroches au cours des énigmes.
- Dialogues uniquement en japonais ou en anglais.